dimanche 28 mars 2010

Journal de Virginia Woolf, Tome 1


Couverture de l’édition française de 1981

Alors que Stock a publié en 2008 une magnifique édition intégrale
en un seul volume de « The diary of Virginia Woolf » traduit par
Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre sous le titre :
« Virginia Woolf Journal intégral 1915-1941 »
J’ai choisi de plonger dans la vie de Virginia à travers la version du
Journal en huit volumes, éditée en France par Stock, à partir de
1981, dans la superbe collection « Nouveau Cabinet Cosmopolite »

Je trouve en effet que la lecture d’un gros volume de 1558 pages
est fort malcommode et je n’apprécie guère les petits caractères
imprimés sur du papier à cigarette qui sévissent également dans les
belles collections Bouquins ou de La Pléiade.
J’ai donc choisi la forme la plus confortable et celle qui me permet de
me sentir plus proche de Virginia et de ses cahiers originaux.


Le tome 1 de « The diary of Virginia Woolf » a donc été édité par
The Hogarth Press en 1977. C’est un véritable travail de famille,
car l’éditeur est Anne Olivier Bell, les droits appartiennent à
Quentin Bell et à sa sœur Angelica Garnett (qui était belle comme
un ange quand petite elle rendait visite à sa tante Virginia).
La remarquable traduction publiée par Stock, en 1981, est de
Colette-Marie Huet.

Ce tome initial comprend un arbre généalogique très détaillé de la
famille de Virginia, suivi d’une introduction de Quentin Bell, le neveu
de Virginia auteur de la biographie de référence.
Le volume se termine par la très intéressante liste fort détaillée des
trente carnets de Virginia qui constituent son journal.
Ces cahiers font partie de la collection Berg déposée à la bibliothèque
publique de New-York.

Ce volume comprend les années 1915, 1917 et 1918. En 1916 Virginia
était malade et n’a pas pu tenir son journal.

Contrairement aux autres journaux, essais ou documents que j’ai pu
lire de Madame Woolf, où elle ne semble vivre que pour nourrir son
œuvre littéraire je suis frappé par une sorte d’insouciance, comme si
Virginia n’était pas encore complètement habitée par son art.

Elle est très libre dans son journal, très proche de son futur lecteur
mais dans ses premières années, elle se concentre sur la cueillette
des champignons, le rituel du tea dont elle fait un grand usage et
une vie sociale relativement importante, même quand elle vit à la
campagne, elle fait et surtout elle reçoit de nombreuses visites.
Elle s’inquiète beaucoup de ce que Léonard écrit ou hésite à écrire,
comme une bonne épouse un peu maternante.

C’est vrai qu’en 1915, Virginia n’a que 33 ans et qu’en dehors de son
journal, elle utilise surtout sa plume pour son travail de critique au
Supplément Littéraire du Times.

Curieusement, dans ses cahiers intimes elle ne parle jamais de son
premier roman, The Voyage out et elle se contente de très brèves
allusions au deuxième, Night and day, qu’elle est en train d’écrire…
Ainsi le 2 janvier 1915 : « Léonard et moi nous remettons tous deux
à nos griffonnages…je fais environ quatre pages de l’histoire de la
pauvre Effie »

Elle parle très librement et très simplement d’elle, du premier jour
de ses règles qu’elle passe couchée, d’un cors au pied ou d’un
moustique qui lui dévore les orteils…

C’est comme si elle était simple et naturelle pour son corps et sa vie
quotidienne et extraordinairement sophistiquée pour les choses de
l’esprit et redoutablement exigeante pour les capacités des autres.

Elle vivait d’une façon plutôt moderne car elle était équipée du
téléphone et elle semblait apprécier de prendre des bains.
J’ai également pris conscience de l’importance de la musique dans
sa vie. D’après son journal elle allait très facilement et fréquemment
au concert.

Virginia a toujours été exigeante avec son art. Le 6 janvier 1915,
elle note :
« J’ai écrit toute la matinée avec un plaisir infini, ce qui est curieux,
car je n’oublie jamais qu’il n’y a aucune raison pour que je sois
contente de ce que j’écris, et que dans six semaines, ou six jours, je
le trouverai détestable. »

Par contre, elle laisse libre cours à sa causticité et à ses incroyables
descriptions des faiblesses de la nature humaine qu’elle semble
relever avec une délectation infinie.

Je trouve que Virginia est pleine d’humour. Elle a un talent particulier
pour faire ressortir le ridicule et quand elle voit des « intruses » dans
sa bibliothèque londonienne préférée, cela donne ceci :
« La Day’s, à quatre heures de l’après-midi, est le rendez-vous
d’élégantes qui veulent qu’on leur dise ce qu’il faut lire. Je n’ai
jamais vu une bande de créatures plus méprisables. Elles arrivent
couvertes de fourrure comme des phoques et tout aussi parfumées que des civettes… »

Pour finir je citerai une dernière fois Virginia, elle qui savait faire
dire aux mots plus que ce qu’ils étaient. Le 29 janvier 1915, elle décrit une journée sans évènement notable :
« La journée est un peu semblable à un arbre sans feuille : elle
comporte toutes sortes de nuances, si on la regarde de près. Mais le
dessin général est plutôt dépouillé. »

Comme j’ai pris énormément de plaisir à lire ces trois années de la
vie de ma reine Woolféenne je ne peux résister à la volupté des mots
de Virginia :

"Nous devons modeler nos phrases,
jusqu'à en faire l'enveloppe
sans épaisseur de nos pensées."


C'est magic,
Woolfic.


Dimanche 28 mars 2010